So let the hate rain down

À vrai dire, Priya se demandait bien ce qu’elle faisait-là. Ce n’était pas à contrecœur qu’elle s’était rendue dans cette pièce, mais elle se demandait bien pourquoi elle et pas un autre. Elle qui était à l’origine venue pour honorer une collaboration entre les différentes communautés, la sorcière s’était alors vue abordée pour venir en aide à quelqu’un. Drôle de situation lorsque l’on savait que, régulièrement, la brune se retrouvait à commettre un ou deux meurtres pour satisfaire une démone. Mais elle n’avait rien dit, acquiesçant à la demande, alors qu’elle n’avait peut-être pas tout saisi. Une histoire de perte de contrôle et que, en tant que sorcière, elle avait dû apprendre ce que c’était que de se maîtriser pour éviter que tout sortilège ne lui échappe et pour garder le contrôle de ses émotions. Seulement là, de ce qu’elle avait retenu, ça ne concernait en rien de la sorcellerie, mais une tout autre sorte de magie. Une magie bien plus ancienne qui devait imprégner le sol même de cette terre, et qui avait offert certains dons aux premiers hommes.

En fait, la brune ne savait même pas pourquoi elle avait accepté, plutôt que de dire à la personne de se débrouiller pour trouver quelqu’un d’autre. Peut-être il y avait-il l’envie de mettre un peu de piment dans ses journées et que conseiller quelqu’un pouvait être relativement amusant. Surtout si cette personne était un sang chaud. Sans le vouloir, Priya était devenue experte pour jouer avec la patience des autres. Si autre fois, elle avait été la gentille petite demoiselle respectant chaque code de la fin du XVIIIème et du début du XIXème, il en était tout autre désormais.

— Ce n’est jamais aussi extrême qu’on le dit.

Découvrant alors son « patient », Priya n’avait pu s’empêcher à commencer d’entrer de jeu avec sa pointe de sarcasme. En fait, elle se moquait de la version des autres. Les « il a fait ci, il a fait ça, il ne devrait pas faire ci et blablabla », elle en avait horreur. Ce qu’elle attendait vraiment, c’était l’avis de cet homme, de Noah si elle avait bien retenu son nom, et ce que lui en pensait. Là était l’intérêt d’une telle rencontre, d’autant plus que la sorcière y allait sans réel a priori.

Alors elle prit place sur l’une des chaises libres, faisant face à son interlocuteur. Un rapide regard lui permis de voir qu’il n’avait pas l’air des plus motivés à être là, ou du moins était-ce comme ça qu’elle l’interprétait.

— Et ça fait quoi quand tu t’énerves ? Non parce que je n’ai pas vraiment de temps à perdre, alors autant aller droit au but. Les autres me disent leur version, mais je veux bien la tienne aussi. Après on verra comment je peux t’aider.

Et si elle en avait envie. Priya se préoccupait rarement des autres. Elle ne voulait pas créer de lien, pas d’attachement, alors que le temps n’avait aucune emprise sur elle dès lors qu’elle était affiliée à la démone Naamah. Mais pour une fois, elle jouait la carte de l’exception, et qui sait, peut-être que la jeune femme aurait son utilité. Elle restait tout de même curieuse de savoir ce que ça donnait réellement quand Noah s’énervait, sans en avoir peur. Tel était l’avantage lorsque l’on faisait appel à une sorcière. Elle avait toute sa magie en réserve pour se défendre, et Priya n’était en rien novice dans ce domaine.

De sentir que ce Noah était « heureux » de la voir, ça l’amusait. Elle n’en montrait rien, mais Priya aimait ces jeux d’apparences, où elle pouvait passer pour la méchante alors qu’en vérité, il n’en était rien. D’autan plus qu’elle n’avait aucune légitimité à prendre la moindre décision au sein de cette communauté et qu’elle était juste là pour un soi-disant partage d’expérience. Alors quitte à être là, la sorcière comptait bien s’amuser un peu afin de rendre la discussion bien plus distrayante. Mais avant tout, il lui fallait en savoir un peu plus au sujet de cette histoire et cela expliquait ce demi-sérieux qu’elle pouvait avoir pour l’instant. Une attitude qui pouvait sembler sévère, mais qui ne restait qu’un voile pour ne pas se laisser décrédibiliser. Au fil des ans, Priya avait vite appris à jouer sur les apparences, n’ayant pas la chance d’avoir la carrure importante de certains.

Elle ne put cependant s’empêcher de sourire face à l’argument que lui sortit Noah. C’était un argument digne de ceux qu’elle avait jadis pu sortir et qu’elle pouvait d’ailleurs toujours sortir si on cherchait à lui faire une leçon de moral. Avec celui-ci, Noah gagnait des points auprès de l’Hispanique.

— Tu as raison, ce n’est pas ta faute, et les autres devraient apprendre à mieux protéger leur petite caboche.

S’il n’y avait encore que la tête à protéger, peut-être que ce serait plus simple, mais d’un autre côté, elle pouvait comprendre que le défoulement sur un punchingball humain pouvait ne pas être toléré.

— Tu appliques la loi du plus fort, c’est ça ?

Elle essayait de comprendre le fonctionnement de Noah, et c’était aussi pour cela qu’elle lui avait demandé son propre avis sur la question. Il était le mieux placé pour lui décrire ce qu’il ressentait lorsque ces écarts de caractère avaient lieu et elle n’allait pas vraiment être déçue. Car il semblait avoir plutôt bien compris son fonctionnement, en émettant son hypothèse. C’était tout à fait ça qu’attendait Priya, qu’il lui déballe ce qu’il avait à déballer. Seulement, il se trompait un peu sur la suite.

— En gros, oui on va fonctionner comme ça. Mais on oublie les décisions que j’ai à prendre, ce n’est pas à moi de dire comment gérer cette communauté, ça, tu te débrouilles avec tes chefs. Moi je vais être là pour t’aider, du moins si tu es ok.

Quitte à être là, autant utiliser ce temps à bon escient. La sorcière écouta donc en silence les explications de Noah sans l’interrompre. Cependant, Priya n’avait pas pensé un instant à quel point son exposé allait la toucher alors que le jeune homme ne pouvait savoir qu’il utilisait une image qu’elle connaissait parfaitement. Que ce soit pour expliquer comment la colère arrivait, ou comment il se laissait submerger. À ses débuts dans sa nouvelle vie, Priya avait parfaitement vécu ces pertes de contrôle où plus rien ne semblait raisonnable. Elle qui n’avait pas accepté que ce don qu’elle n’avait jamais demandé demande une telle compensation, il lui avait fallu des années pour apprendre à se contrôler.

Quant à l’idée de se noyer, tout sourire avait disparu chez elle, tandis que cette image la ramenait à son lointain passé. Elle ne disait rien pour l’instant, attendant de voir la façon dont il expliquerait cette sensation, si similaire à une noyade. En soi, la jeune femme n’avait jamais vraiment connu la noyade, ayant été sauvée de justesse de celle-ci. Mais elle savait ce que cela faisait, la peur que l’eau pouvait subitement créer au sein des entrailles. Noah n’avait aucune possibilité de le savoir, alors que celle qui servait un démon avait enfoui son passé en laissant croire à sa mort, mais indéniablement, ses propos la ramenaient à cette fameuse nuit d’encre, lorsqu’elle était encore si ignare du monde où ils vivaient.

— Se noyer, c’est bien pire que ça, crois-moi.

Priya avait repris la parole, chassant ses pensées par celle-ci, et plongeant son sombre regard dans celui de Noah. Elle avait attendu qu’il finisse et n’avait pas forcément cherché à démontrer qu’elle en savait plus. Son ton était resté neutre, presque détaché de la réalité et presque semblable à un murmure.

— Lorsque l’on se noie, le corps est désinhibé de toute sensation par le froid que l’eau provoque. Tu rentres en hypothermie et tu n’as pas le temps de comprendre ce qu’il se passe que ton cerveau abandonne tout espoir et toute envie de lutter. Mais tu as raison, c’est la pire mort que l’on puisse connaître, et je te souhaite de ne jamais avoir à la côtoyer.

Mais ils n’étaient pas là pour débattre sur les différentes façons de mourir ou chercher à mieux décrire l’une de ces façons de faire. Se concentrant sur la réelle raison de cette discussion et de ce descriptif, Priya se reposa sur son dossier avant de reprendre.

— Crois-moi ou non, mais je sais ce que ça fait de ne pas évacuer cette colère, ou cette sensation de noyade, comme tu préfères. Je crois que c’est pour ça que les autres ont estimé que je pouvais t’aider. Soi-disant parce que l’on sait se contrôler, on saura aider les autres. Je ne pense pas que cette idée soit universelle, mais bon, autant essayée. Après, la véritable question est : est-ce que tu souhaites te contrôler ?

C’était réellement sur ce point que Priya ne souhaitait pas perdre de son temps. Si Noah voulait de l’aider, alors pourquoi pas, cela rajouterait un peu de piment à son quotidien. Mais s’il n’en voulait pas, alors autan cesser là et que chacun reparte de leur côté.

— Je ne serais pas là vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour te dire quoi faire. Sois rassuré là-dessus, si tu veux de mon aide, tu resteras libre d’agir à ta guide. Mais je peux te partager les astuces que l’on m’a jadis données et pourquoi pas, t’aider à te défouler. Tu es un loup, c’est ça ? Il t’arrive de te transformer quand tu te laisses trop envahir ?

Encore une question, mais Priya avait besoin de cerner Noah. Elle se servait des informations qui lui avaient été transmises, sans pour autan les exploiter dans son jugement. Pour le moment, la tête de Noah lui revenait. Il ne restait plus qu’à voir comment il accrochait à sa façon de faire et alors elle pourra peut-être lui venir en aide. En attendant, les cartes étaient entre les mains du lycan et il n’y avait que lui pour savoir quoi jouer.